Cependant, le loustic anonyme ne désarma pas pour autant :

—  Ted, tu as tort de te fâcher ! Nous ne voulons que rendre service à miss McCarthery et puisqu'elle cherche un homme, nous sommes ici tout prêts à nous mettre à sa disposition !

Les rires reprirent de plus belle, mais Imogène ne se laissait pas démonter facilement. Agressive, elle se tourna vers le joyeux drille :

—  J'ai dit que je cherchais un gentleman, monsieur le plaisantin, et je ne pense pas que vous répondiez à cette définition ! Je ne serais même pas étonnée — si j'en juge par votre grossièreté — que vous ne soyez pas un homme des Highlands !

Sans le savoir, miss McCarthery avait frappé juste car le bonhomme — un représentant de commerce — venait de Glasgow. Comme chaque fois qu'on faisait appel à leur nationalisme, les Highlanders épousèrent aussitôt le parti dlmogène. Ted, heureux de ce revirement, voulut sa part du triomphe et, s'adressant à celui qui avait plaisanté son amie, il annonça :

—  Mr Beckett, je crois qu'il ne vous reste plus qu'à offrir une tournée générale pour vous être attaqué à une fille des Highlands !

Ted Boolitt ne perdait jamais de vue ses intérêts. Des acclamations saluèrent sa proposition et, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, Beckett fut bien obligé de s'exécuter à seule fin de ne pas mécontenter une hypothétique clientèle. Imogène, faisant preuve d'une grandeur d'âme qui lui rallia les sympathies, accepta de trinquer avec son adversaire et, bien qu'il fût à peine 11 heures du matin, vida son verre de whisky sous l'œil attendri de Ted Boolitt, reconnaissant dans la fille un peu de ce qui avait fait la gloire du père, et sous le regard navré du constable Tyler, entré au Fier Highlander sans que personne ne l'eût remarqué.

Andrew Lyndsay n'étant pas là, miss McCarthery prit gracieusement congé de l'assemblée et sortit, mais pour cela, elle fut obligée de passer devant le constable qui murmura :

—       le chef a raison,  miss Imoerène. vous ne devriez pas vous mettre au whisky de si bonne heure !

D'abord interloquée, l'Ecossaise réagit avec vigueur et, à l'étonnement admiratif de tous ceux qui assistaient à la scène, traita Samuel Tyler comme un gamin mal élevé. Quand elle fut partie, Ted Boolitt résuma l'opinion générale en déclarant :

—  On dira ce qu'on voudra, mais c'est quelqu'un cette fille-là !

Samuel, qui tenait absolument à ne pas perdre la face, s'approcha du patron du Fier Highlander, l'œil mauvais :

—  Si ça vous amuse, Ted Boolitt, d'entendre insulter un constable de Sa Gracieuse Majesté, grand bien vous fasse ! Mais je vous avertis que ledit constable saura appliquer strictement désormais les règlements concernant la fermeture des débits de boissons !

En sortant, lyier eut la satisfaction d'attraper les échos de la dispute qui mettait aux prises Boolitt et sa femme.

Ne sachant où aller pour rencontrer Andrew Lyndsay, Imogène s'en fut à l'aventure, suivie discrètement, et de loin, par le constable Tyler obéissant aux ordres de son chef.

Fort embarrassée par sa bicyclette, miss Mc-Carthery, ayant dépassé les dernières maisons de Callander sur la route de Kilmahog, se demandait si elle ne ferait pas mieux de rentrer chez elle pour y préparer son déjeuner lorsque, raidie de stupéfaction, elle vit venir à elle son voleur, l'homme aux yeux bleus et à la moustache de phoque, qui portait une gaule sur l'épaule. En bon agent de llntelligence Department, Imogène admira la ruse. Pour ne pas attirer les soupçons, cet individu continuait à jouer son rôle de paisible amateur de pêche, attendant sans doute que les recherches fussent orientées dans une autre direction pour prendre la fuite et rejoindre ceux à qui il devait remettre les documents dérobés. Intérieurement, Imogène ricana. Ce sinistre bonhomme ne se doutait sûrement pas de ce oui allait lui arriver ! Au moment où il narvenait à la hauteur de l'Ecossaise, il eut le front de lui adresser un sourire aimable mais qulmogène trouva hideux, tant elle y décernait de fourberie. Ce ne fut pas long. D'un élan, elle lui jeta son vélo dans les jambes et le bonhomme s'effondra, en se prenant les pieds dans le cadre et dans la roue arrière. Aussitôt, miss McCarthery lui fonça dessus et, l'empoignant par le col de sa chemise, commença à l'étrangler fort proprement tout en hurlant :

— Voleur ! Vous allez me la rendre, mon enveloppe, oui ou non ? Vous allez me la rendre ou par les tripes du diable (Imogène dans ses moments d'exaltation intense retrouvait spontanément les jurons favoris de son père), je vous étrangle comme un poulet !

Les yeux hors de la tête, immobilisé par la bicyclette qui lui paralysait les membres inférieurs, la victime de miss McCarthery, même si elle en avait eu envie, aurait été dans 1 incapacité de répondre car, déjà, le souffle lui manquait. Samuel lyler, qui avait assisté de loin à l'agression, en resta un moment pétrifié sur place puis, prenant ses jambes à son cou, se précipita vers le couple emmêlé, mais à son âge il ne pouvait guère dépasser le trot. Quand il arriva sur les combattants, l'homme à la moustache de phoque était sur le point de s'évanouir. Attrapant Imogène par les épaules, le constable lui fit lâcher prise et se porta au secours de la victime dont la trachée faisait un bruit de tuyau crevé tandis qu'elle aspirait avec avidité l'air dont elle avait failli être à jamais privée. Quand il se fut assuré que le vaincu reprenait ses esprits, Samuel se tourna vers miss McCarthery et, d'un ton sévère, interrogea:

—   Miss Imogène, je vous avertis que je ne tolérerai pas que vous semiez le trouble et le scandale dans Callander ! Je vous ai vue vous jeter comme une furie sur ce malheureux. Voulez-vous me dire ce que cela signifie ?

—   C'est mon voleur !

Le constable fit de nouveau face à l'homme qui se relevait péniblement et, tout en l'aidant à se débarrasser de la bicvclette. lui demanda :